top of page

(sous le patronage de Rimbaud aussi…)

Il naîtra, dans l'esprit de l'élite humaine,
l'horreur qu'éveille, en de rares cervelles exquises,
l'idée "que la farandole des Langues soit rompue".
Une prescience instinctive aujourd'hui, argumentale demain, dira
combien il importe que la symphonie langagière conserve toutes ses notes,
et le péril où jette un monopole linguistique oblitérant tant d'idiomes.
La terreur est sans doute prophétique
qui frissonne en des êtres profondément naturalistes
à la pensée du Verbe réduit à un monolecte.
C'est l'ingression de l'unisson, le linguicide drastique,
la certitude que
les plus abstrus, les plus baroques de nos idiolectes,
les tâtonnements des Vaugelas voire des pieds-plats,
le génie de l'infiniment délicat et de l'infiniment compliqué,
le haut poème des harpes ou des xylophones langagiers,
menacent de nous faillir.
Que périssent avant terme le picard ou le lorrain,
l'araméen ou le nicobar,
le mentonasque ou le monégasque,
le brusseleer ou l'avunculaire
*...
il convient que ce ne soit pas sans hésitations très longues
et sans tentatives révérendes de préservation.
Aussi, pour les langues désormais inutilisées
à l'épanouissement comme à l'aliénation de l'homme,
on bâtira les Alpha-Conservatoires.
Élevés, à toutes les humaines créations verbales et écrites,
fournis de documents historiques, sonores et visuels,
de thésaurus et de nomenclatures,
de corpus parémiologiques comme de badines saynètes,
d'éthos, de pathos,
d'inventaires et de répertoires encore,
les patois et les idiomes, par lesquels s'ouvrit le Monde,
conservés comme Arts et Sciences des Origines,
y survivront pour la fascination des dilettantes
et nullement dans l'horrible séquestration de nos Archives.
Ainsi, à la faveur de l'heureux succès de la phalanstérisation planétaire,
la beauté des parlures,
le sentiment de l'efflorescence langagière en quiddité comme en eccéité
jamais ne se perdra pour l'homme ;
et uniquement créés, dans le principe,
en respect des vénérables langues naturelles et vernaculaires,
peut-être, de siècle en siècle,
les Alpha-Conservatoires,
les Arches du diluvien déferlement normatif,
plus tard resteront sources d'inspiration pour le vétérovéhiculaire

Esperanto,
ou du moins indicatrices si précieuses
sur la progression même de l'Homaranisme,
que notre désintéressement sera récompensé au centuple.


* parler argotique de fesse-mathieu

srh

Soir historique

En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naïf,
retiré de nos horreurs économiques,
la main d'un maître anime le clavecin des prés ;
on joue aux cartes au fond de l'étang,
miroir évocateur des reines et des mignonnes ;
on a les saintes, les voiles, et les fils d'harmonie,
et les chroma­tismes légendaires, sur le couchant.


Il frissonne au passage des chasses et des hordes.
La comédie goutte sur les tréteaux de gazon.
Et l'embarras des pauvres et des faibles sur ces plans stupides !


A sa vision esclave, l'Allemagne s'échafaude vers les lunes ;
les déserts tartares s'éclairent ;
les révoltes an­ciennes grouillent dans le centre du Céleste Empire ; par les escaliers et les fauteuils de rocs,
un petit monde blême et plat, Afrique et Occidents, va s'édifier.
Puis un ballet de mers et de nuits connues,
une chimie sans valeur, et des mélodies impossibles.


La même magie bourgeoise à tous les points
où la malle nous déposera !
Le plus élémentaire physicien sent qu'il n'est plus possible
de se soumettre à cette atmosphère personnelle,
brume de remords physiques,
dont la constatation est déjà une affliction.


Non ! Le moment de l'étuve, des mers enlevées,
des embrasements souter­rains, de la planète emportée,
et des extermi­na­tions conséquentes,
certi­tudes si peu malignement indiquées dans la Bible
et par les Nornes
et qu'il sera donné à l'être sérieux de surveil­ler.
– Cependant ce ne sera point un effet de légende !

Arthur Rimbaud,
Les Illuminations, ca 1873.

bottom of page