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Quant à l'humanité considérée dans son ensemble, hors de ces quelques-uns capables de l'un ou l'autre des idéaux que je viens de dire et de s'y dévouer, elle paraît caractérisée dans l'ordre moral par ces traits : l'application de l'individu à assurer uniquement le bien-être de sa personne et de ses petits au mépris de tout intérêt les dépassant (fraude envers l'État, tricherie avec la loi) ; l’âpreté au gain, l'avarice, auréolée sous le nom de "sens du patrimoine" (plus récemment, dans certaine contrée, de "vertus bourgeoises") ; l'exploitation méthodique du prochain, saluée du nom de "sens des affaires" ; l'acceptation du fait, l'inclinaison devant le succès, fussent-ils le sac de toute morale ; la lâcheté, le refus des actes qu'ordonnerait la justice, voire simplement l'honneur, s'ils comportent des dangers ; l'envie, se traduisant par la malveillance à l'égard du prochain ; le commérage, la calomnie, attributs spécifique de l'homme, qu'ignorent les animaux ; la vanité, la course aux choses flatteuses, fût-ce par les pires bassesses, autre monopole de l'espèce. Ces mouvements sont reconnus par ces humains eux-mêmes comme faisant partie de leur nature. Si vous leur en signalez quelqu'un, ils vous répondent, non d'ailleurs sans quelque honte : "Que voulez-vous, cela est humain !" Rappelons enfin la faculté qu'ils ont en propre de décupler leur méchanceté par le moyen de l'intelligence ; un de leurs philosophes observe que leurs actes de cruauté n'ont jamais la naïveté qu'ils ont chez l'animal. En somme, si l'on excepte quelques individualités qui sont l'honneur de la matière vivante, cette race humaine est une laide chose.

Julien Benda, Le Rapport d'Uriel [explicit], 1946.

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