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— Si les Enax-Skodahs chrysostomes étaient ce qu'ils devraient être, soûlaient encore d'aimables gosses d'un monde parallèle leur aprébendé précepteur Z., est-ce qu'ils seraient alors plus policés à l'endroit de leurs Crocsans lobotomes* ?
— Bien sûr, crocodila-t-il itou, toujours affable. Si les Enax-Skodahs chrysostomes n'étaient pas viandes creuses oncques autorepues, ils feraient bâtir pour leurs Crocsans lobotomes, un peu partout sur l'unique et ultime bonne huitième partie de leur boule, et à distance raisonnable les unes des autres, des cités aérées, avec dedans toutes sortes de nourritures végétaliennes, locales et donc frugales. Ils s'évertueraient à garantir aux quiètes cités eau fraîche fleurant l'orgeat et air pur raisonnablement iodé, et d'une façon générale, ils prendraient toutes sortes de dispositions sanitaires, bien avant que quelque péril n'urgeât. Et si, par exemple, un Crocsans lobotome se retrouvait accidentellement sans toit, c'est au bénéfice de ce dernier qu'un Enax-Skodahs chrysostome qui n'a de toute manière pas le don d'ubiquité se dessaisirait de l'une de ses retraites séance tenante. Afin que les Crocsans lobotomes ne devinssent point trop euphoriques à l'instar des Enax-Skodahs chrysostomes fourvoyés dans leurs raouts, il n'y aurait guère de puériles ribouldingues : les temps maudits des faciles abcès de fixation et des infantilisations planifiées, entre autres les jeux de baballes ou de bouboules de loto, les grands-guignols tauroboliques, les déduits pléonexiques – tous passe-vie égaux par ailleurs pour des criquets processionnaires – tamagotchiques, cynégétiques, olympiques, ithyphalliques, festivaliers, halieutiques, gastronomiques, cosmétiques, éthyliques, informatiques, ergomaniaques (!), thébaïques, téléphagiques, oniomaniaques... seraient bien révolus. Naturellement les écoles, pour tous les âges, champignonneraient dans ces cités fédérées. Dans icelles, les Crocsans lobotomes apprendraient non pas comment on ruine d'autres Crocsans lobotomes dans la guerre économique, mais à ne plus se complaire aux ombres chinoises projetées sur les parois de leurs pénates par leurs plats téléviseurs coréens ou d'ailleurs. L'essentiel serait bien sûr la formation à la sapience des Crocsans lobotomes (et des Enax-Skodahs chrysostomes !). La quasi-sacerdotale oblativité post-captative des Enax-Skodahs chrysostomes dispensant tout leur savoir auprès des Crocsans lobotomes et le fécondant auprès des mêmes (foin du trivial ante mortem mécénat censément philanthropique) magnifierait leur monde dont la première vertu éducative serait ... la désobéissance par la pensée libre. Comme leurs mentors et parangons, les Crocsans lobotomes devraient surtout se garder de toute tentation autocratique, et si l'un d'eux trahissait des penchants monopoleurs, en avertir aussitôt les Enax-Skodahs chrysostomes. Si les Enax-Skodahs chrysostomes étaient vraiment des citoyens, ils ne se feraient naturellement plus la guerre – pour conquérir des cités étrangères et des Crocsans lobotomes étrangers – puisqu'ils n'auraient plus besoin de soudards. Ils ne feraient pas davantage la paix pour se reproduire de façon exponentielle et connaître le sort des hommesters tournant sans fin sur et au-dessus de leur roue-boule planétaire. Mais la paix, fruit de la sapience, ils la répandraient incontinent par le zèle de leurs Crocsans lobotomes. Ils enseigneraient, aux sons de "la Ballade des gens qui sont nés quelque part", qu'entre les myriades de Crocsans lobotomes des pléiades d'Enax-Skodahs chrysostomes n'existent que quelques dissemblances dues aux contingences. Les Crocsans lobotomes, expliciteraient-ils, sont, comme chacun sait, dotés d'une parole versicolore mais dénués de xénolalie, et s'ils s'entretiennent habituellement dans telle langue maternelle en leur cité propre, ils se devraient dorénavant d'utiliser le truchement linguistique éprouvé pour communiquer antichthonement en conspuant leur tohu-bohu babélique savamment entretenu pendant des siècles par les chiées d'Enax-Skodahs chrysostomes qui se sont succédé et très longtemps perpétués, sabres ou dents au clair. À chaque Crocsans lobotome qui, philanthrope tartufe, aurait apporté moult pierres à l'édifice homaraniste (v. ci-derrière) où les vies font chorus, les Enax-Skodahs chrysostomes octroieraient une maousse décoration en chocolat et conféreraient le titre de l*-c* de p*, pour lui rappeler que l'humilité va de pair avec le désintéressement. Si les Enax-Skodahs chrysostomes n'étaient pas des sépulcres blanchis, il y aurait naturellement chez eux un art sans le moindre caractère sacré. Il y aurait ainsi des tableaux épiciers où les artéfacts "historiques", "mythiques", tant des Crocsans lobotomes que des Enax-Skodahs chrysostomes seraient représentés en couleurs tape-à-l'œil, la désacralisation allant de conserve avec la démystification. Ces tableaux appelleraient par leur mauvais goût la critique de bien des commémorations aux solidarités retrouvées mais d'emprunt. Pendant que l'oxymorale 'égalité des chances' s'oblitèrerait, les théâtres montreraient comment les Enax-Skodahs chrysostomes et les Crocsans lobotomes rivaliseraient de confraternité et particulièrement envers les moins fortunés d'entre eux. Il y aurait donc aussi une forme de religion, l'homaranisme (v. ci-devant), si les Enax-Skodahs chrysostomes entendaient raison. Elle fulminerait que les Crocsans lobotomes au même titre que les Enax-Skodahs chrysostomes n'ont sempiternellement vraiment vécu que dans le présent, et qu'il sera à jamais insane d'hypothéquer sa vie présente à essayer d'en gagner une ... hypothétique ! Du reste, une chose – la dissemblance – cesserait forcément, quand, par les vertus conjuguées de l'instruction et d'une accommodante tierce langue commune offrant l'immédiate bonne intelligence, les Enax-Skodahs longtemps lobotomisés dans leur suffisance solaire ne seraient plus que des mec pluribus pares à l'avenant des Crocsans aujourd'hui toujours murés dans leur sourde vassalité morose. Finies alors les compétitivités échevelées pour des croissances promises durables, finies alors les ribotes où l'on oubliait déjà les lendemains qui déchanteraient... Bref, bouillirait alors dans le monde de ces ci-devant contendants désormais étiquetés ESs&Crocs l'idée interne conspiratrice de la vie bientôt peut-être possiblement unanime ... Restons prudent !

* lobotome : au cerveau capitonné en 4 cases : quand trois ne gardent que des échos de réclames, d'injonctions diverses comme "Profitez !", "Buvez !", "Courez !", "Bossez !", "Dormez !", "Priez !", la quarte peut être lestée d'une petite grosse¹ de caractères, lesquels, ordonnés par écholalie stochastique permettent une bribe d'expression personnelle au moins aussi complexe que celle des piafs. Chez les Skodahs, les cases multiples et interchangeables du cerveau ne résonnent que du seul apophtegme : "Enrichissez-vous !"

¹ deux petites grosses, depuis ce début de novembre 2017

À ce moment, le Crocsans sortit de son songe éveillé. L'Enax-Skodahs qui se reposait à ses côtés montrait, dans un demi-sommeil, un air débonnaire que soulignait une denture gélasine. Ils venaient de partager le même rêve.

— Imagine que tu sois ce que tu devrais être : serais-tu plus gentil avec nous, les Crocsans lobotomes ?

— Pas sûr, surtout si je n'étais qu'un berger ess&crocs intéressé au bien-être de mes moutons. Écoute donc...

Le mouton est mal placé pour juger ; aussi voit-on que le berger de moutons marche devant, et que les moutons se pressent derrière lui ; et l'on voit bien qu'ils croiraient tout perdu s'ils n'entendaient plus le berger, qui est comme leur dieu. Et j'ai entendu conter que les moutons que l'on mène à la capitale pour y être égorgés meurent de chagrin dans le voyage, s'ils ne sont pas accompagnés par leur berger ordinaire. Les choses sont ainsi par la nature ; car il est vrai que le berger pense beaucoup aux moutons et au bien des moutons ; les choses ne se gâtent qu'à l'égorgement ; mais c'est chose prompte, séparée, et qui ne change point les sentiments.

Les mères brebis expliquent cela aux agneaux, enseignant la discipline moutonnière, et les effrayant du loup. Et encore plus les effrayant du mouton noir, s'il s'en trouve, qui voudrait expliquer que le plus grand ennemi du mouton, c'est justement le berger. « Qui donc a soin de vous ? Qui vous abrite du soleil et de la pluie ? Qui règle son pas sur le vôtre afin que vous puissiez brouter à votre gré ? Qui va chercher à grande fatigue la brebis perdue ? Qui la rapporte dans ses bras ? Pour un mouton mort de maladie, j'ai vu pleurer cet homme dur. Oui, je l'ai vu pleurer. Le jour où un agneau fut mangé par le loup, ce fut une belle colère ; et le maître des bergers, providence supérieure et invisible, lui-même s'en mêla. Il fit serment que l'agneau serait vengé ; il y eut une guerre contre les loups, et cinq têtes de loup clouées aux portes de l'étable, pour un seul agneau. Pourquoi chercher d'autres preuves ? Nous sommes ses membres et sa chair. Il est notre force et notre bien. Sa pensée est notre pensée ; sa volonté est notre volonté. C'est pourquoi, mon fils agneau, tu te dois à toi-même de surmonter la difficulté d'obéir, ainsi que l'a dit un savant mouton.

 

Réfléchis donc, et juge-toi. Par quelles belles raisons voudrais-tu désobéir ? Une touffe fleurie ? Ou bien le plaisir d'une gambade ? Autant dire que tu te laisserais gouverner par ta langue ou par tes jambes indociles. Mais non. Tu comprends bien que, dans un agneau bien gouverné, et qui a ambition d'être un vrai mouton, les jambes ne font rien contre le corps tout entier. Suis donc cette idée ; parmi les idées moutonnières, il n'y en a peut-être pas une qui marque mieux le génie propre au vrai mouton. Sois donc au troupeau comme ta jambe est à toi. »

L'agneau suivait donc ces idées sublimes, afin de se raffermir sur ses pattes ; car il était environné d'une odeur de sang, et il ne pouvait faire autrement qu'entendre des gémissements bientôt interrompus ; et il pressentait quelque chose d'horrible. Mais que craindre sous un bon maître, et quand on n'a rien fait que par ses ordres ? Que craindre lorsqu'on voit le berger avec son visage ordinaire et tranquille ainsi qu'au pâturage ? À quoi se fier, si l'on ne se fie à cette longue suite actions qui sont toutes des bienfaits ? Quand le bienfaiteur, quand le défenseur reste en paix, que pourrait-on craindre ? Et même si l'agneau se trouve couché sur une table sanglante, il cherche encore des yeux le bienfaiteur, et le voyant tout près de lui, attentif à lui, il trouve dans son cœur d'agneau tout le courage possible. Alors passe le couteau ; alors est effacée la solution, et en même temps le problème.



Émile Chartier (dit Alain),
Propos sur les pouvoirs, 13 avril 1923.

Le Crocsans soupira. Pourpensa...

— Ainsi, il n'y aurait d'autre choix ‽ Cochon ou sanglier !

— Mais de quoi parles-tu ?

— Écoute à ton tour...

Entre le cochon et le sanglier, il y a la différence, notamment, de l'état domestique à l'état sauvage. Le cochon est un produit cultivé tandis que le sanglier pousse tout seul. Le cochon ne s'écarte guère de sa mangeoire, où il est assuré de trouver force bonnes épluchures, et le sanglier quête à travers les grands bois illuminés des couleurs automnales, car il est lyrique, les glands savoureux, les racines fraîches et les amanites sanglières qui sont, comme leur nom l'indique, un champignon réservé à son usage. Le cochon a de la graisse, le sanglier du muscle. La peau du cochon est épaisse, mais sensible ; et celle du sanglier, hérissée de crins poussiéreux, certes, mais fort nobles, résiste à des horions extrêmement sévères, voire acérés si l'on ose dire. Naturellement, le cochon mène une vie plus tranquille, dort sous un toit qui fuit le moins possible – car c'est un animal qui se vend régulièrement et une des nécessités du commerce est de présenter un produit de qualité constante, quasi normalisée –, se lave parfois – il est moins sale qu'on veut le dire – et préside, lorsqu'il est vraiment devenu un très gros cochon, à des cérémonies païennes dénommées concours agricoles à l'issue desquelles après l'avoir embrassé, cajolé, décoré de la Légion d'honneur et proclamé très gros et très grand, on l'immole d'un tranche-lard perfide et on te vous le débite au cours du jour. Le sanglier finit parfois aussi misérablement sur un étal ; mais jusqu'à son heure ultime, il résiste ; et il a souvent la joie posthume de se voir exposé intact, avec tous ses poils, chez Chatriot ou en quelque autre lieu de luxe, car le sanglier ne quitte guère l'empyrée. Jusqu'à son dernier jour, il lui reste la possibilité de se suicider en se lançant contre une automobile sur quelque autostrade et, si le coeur lui dit, il peut même choisir pour lieu de cette expérience un pont qui corsera son action sublime d'une belle noyade. Enfin, le sanglier a une bonne réputation d'ours, c'est étrange mais c'est ainsi, et figure avantageusement au blason d'illustres familles, quand son reflet rose, le cochon, n'a guère le loisir que de décorer de son effigie la vitrine d'un charcutier aussi gras que lui-même.

Boris Vian, Notes d'un naturaliste amateur.

Bref, [ NF. F. NS. NC. ]

D'autres textes inspirateurs se trouvent au bas de cette page.

Mais il y en eut/a/aura tant !

Ainsi, celui-ci encore :

La croissance "durable" a-t-elle un sens ?
Sauf à imaginer que l'humanité déménage vers les étoiles
et continue de polluer la galaxie après avoir pollué la Terre,
le concept de croissance durable est ridicule.
Un monde fini ne peut accueillir une croissance infinie.
Il faut donc que la croissance s'arrête,
comme le nénuphar sur le lac
une fois qu'il en a occupé la totalité.

Comment occuper, alors, l'espèce humaine,
qui, visiblement, est assez agitée ?
Comment aller dans le sens du "progrès" ?
Seule la substitution d'énergie
− je consacre de l'énergie
aux cellules souches
plutôt qu'à Rolland Garros −
peut autoriser le progrès.

Remarque :
quelle croissance peut être infinie sans dommage ?
Celle de la connaissance.
La méditation coûte encore moins cher en énergie.

C'était la minute de bon sens d'Oncle Bernard.
[Maris]

(in Charlie Hebdo, 13 juin 2007)

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